Économie : Les Leçons du Modèle Néo-Zélandais
- Julia Agard

- 9 oct. 2024
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 sept.
Un budget bien être pour complémenter le PIB national ? Ils ont fait !

Source d'image : Reuters / Arnd Wiegmann
En 2019, la Nouvelle-Zélande présente son "budget du bien-être". Cette deuxième force politique, en ligne avec une approche plus sociale et travailliste, se positionne comme une proposition solide, avec des contributions significatives aux politiques publiques et aux investissements. Il s'agit pour le pays, d'une vision entièrement nouvelle de la politique, qui mérite toute notre attention en raison de son caractère innovant et audacieux.
L’idée du budget du bien-être est à la fois entreprenante et porteuse d’une vision sociétale qui, selon leurs propres termes, vise à "donner de la valeur à ce qui compte réellement". La Nouvelle-Zélande est une économie avancée et diversifiée, bien que de taille relativement modeste à l'échelle mondiale. Son économie est structurée autour de secteurs clés : l'agriculture, le tourisme, la technologie, l'innovation et les énergies renouvelables.
Sur le plan commercial et diplomatique, le pays est fortement intégré dans le commerce de la région Asie-Pacifique. Ses principaux partenaires commerciaux incluent la Chine, l’Australie, les États-Unis, l'Union européenne et le Japon. Ils exportent principalement des produits alimentaires et agricoles, tandis qu'il importe des biens manufacturés, des machines et du pétrole. Ces relations sont équilibrées et soutenues par une industrie bien établie, permettant à la Nouvelle-Zélande de prospérer dans une large zone géographique tout en restant attachée à une gestion environnementale "verte".
Les accords commerciaux bilatéraux, tels que le Partenariat transpacifique global et progressiste (CPTPP) et les accords avec la Chine, ont contribué à renforcer et à élargir ses relations commerciales. Le marché du travail néo-zélandais est dynamique, en partie grâce à l'essor du tourisme dans la région. La Banque de réserve de Nouvelle-Zélande (RBNZ) supervise la politique monétaire du pays, avec pour objectif principal de maintenir une inflation stable et modérée, aux alentours de 2 %. Bien que la croissance économique ne soit pas axée sur de grands projets, l’inflation est devenue une source de préoccupation en 2022-2023, en raison de la hausse des prix mondiaux des matières premières et des perturbations des chaînes d'approvisionnement.
Derrière ces données positives, la préoccupation liée au changement climatique demeure une menace directe pour l’économie néo-zélandaise, particulièrement dépendante de l’agriculture. Consciente de ces défis, la Nouvelle-Zélande décide d’agir en mettant l’accent sur la santé de sa population, la protection de l’environnement et l’amélioration de la qualité de vie de ses citoyens à travers son budget du bien-être. Si l’idée est novatrice, c’est surtout la pratique qui l’est, ainsi que l’approche adoptée lorsqu’on en examine les détails. Le budget du bien-être repose sur l’idée que la prospérité financière ne suffit pas, à elle seule, pour mesurer la qualité de vie. Reprenant une réflexion de Robert Kennedy dans les années 1960, Grant Robertson a souligné l’importance d’aller au-delà du produit intérieur brut (PIB) comme indicateur principal du bien-être. Ce budget s’appuie sur plus de soixante indicateurs identifiés dans le cadre du « cadre de niveau de vie » élaboré par le Trésor néo-zélandais, et le ministre des Finances a d’ailleurs déclaré qu’aucun gouvernement néo-zélandais n’avait auparavant utilisé autant de données et d’analyses statistiques pour établir un budget.
Bien que l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) préconise depuis longtemps une telle approche, la Nouvelle-Zélande est le premier pays au monde à adopter explicitement un budget centré sur le bien-être. Pourtant, le principe du "coût de l'inaction" est étudié depuis longtemps par l'OCDE, sous un autre intitulé, certes, mais avec des préoccupations similaires, notamment en matière de coûts liés à la santé.
L'augmentation des coûts, notamment avec la crise du COVID-19, souligne l'importance d'intégrer ces dépenses dans la politique générale et dans un budget global. Cela concerne également les dépenses liées au changement climatique, à l'impact sur la nature, ainsi qu'aux effets directs sur la santé et la qualité de vie des populations.

Alors, pourquoi je vous parle de tout cela ? Non, je ne déménagerai pas en Nouvelle-Zélande demain, mais cette approche nous montre qu’il est possible d’associer le PIB par un modèle alternatif. Ce modèle ne devrait pas hésiter à être intégré autrement dans la politique nationale, en l'associant par exemple à d'autres indicateurs permettant de positionner le pays dans une mesure mondiale tout en montrant, en interne, que d'autres priorités sont prises en compte, mesurées et étudiées pour améliorer la vie des citoyens.
La Nouvelle-Zélande est, au-delà de cette initiative, très bien positionnée en termes de richesses internes, avec une économie compétitive et un secteur industriel performant, cela sans me-reconnaît que tout a un impact, et que ces impacts doivent être mesurés et gérés avec soin pour améliorer la vie des populations, et donc, leur bien-être. Le considerant, le budget du bien-être repose sur l'idée que la prospérité financière ne suffit pas à elle seule pour mesurer la qualité de vie. Reprenant une citation de Robert Kennedy des années 1960, Grant Robertson qui a souligné l'importance d'aller au-delà du produit intérieur brut (PIB) pour évaluer notre bien-être.
Mettre ce modèle en parallèle avec notre politique française nous éveille des ides et d’analyses :
1. Penser transversal
La Nouvelle-Zélande a introduit son budget du bien-être pour s'assurer que les politiques publiques prennent en compte des aspects variés de la qualité de vie, au-delà du simple indicateur du produit intérieur brut (PIB) mettent l'accent sur des enjeux tels que la santé mentale, la réduction de la pauvreté infantile et la transition vers une économie durable. Le gouvernement néo-zélandais adopte une approche intégrative qui considère les interconnexions entre différents domaines, ce qui permet une gestion stratégique des ressources.
En France, le modèle de bien-être repose également sur des valeurs sociales, avec un accent sur la protection sociale et la réduction des inégalités. Le problème est, malgré notre budget social considérable, les politiques sociales sont généralement menées par plusieurs ministères, notamment ceux des Affaires sociales, de la Santé et de l'Économie, rajoutant de la bureaucratie et le manque de coordination entre ces ministères, ce qui peut entraver l’efficacité de la mise en œuvre des politiques. Nous avons besoin de réfléchir « transversal », et l’idée du budget bien être centralisé au ministère de l’économie comme étude de projet transversal pourrait être un excellant appuie.
2. Vision du bien être comme sujet économique
L’utilisation de ses indicateurs vont au-delà du PIB pour évaluer la qualité de vie. Ces indicateurs incluent des données sur la santé mentale, l'éducation, et les inégalités, permettant une évaluation plus holistique des résultats des politiques publiques.
En France, bien que disposant de mesures de bien-être (comme l'INSEE qui publie des indicateurs de bien-être), s'appuie encore fortement sur le PIB comme principal indicateur de la santé économique. Une approche plus intégrative, qu’associe les deux, comme celle de la Nouvelle-Zélande, pourrait permettre à la France d'évaluer plus efficacement l'impact social de ses politiques et passer un message fort de ses ambitions, pourvu qu’elle s’intégrant dans une vison long terme de sa politique afin de générer des effets perceptifs pour les citoyens.
3. Penser enjeux sociaux, penser coût, les anticiper, c’est penser bénéfices
Les sujets prioritaires dans le budget du bien-être néo-zélandais sont clairement définis et traités de manière stratégique par le ministère de l'Économie et des Finances. Cela permet de garantir que des problèmes comme la pauvreté infantile et les inégalités sont systématiquement intégrés dans la planification budgétaire. Les anticiper c’est faire des économies – pensons au coût de l’inaction.
En France, bien que des initiatives existent (comme le Plan pauvreté et les réformes sur la santé mentale), la priorisation des enjeux sociaux peuvent parfois sembler fragmentée. Les réponses aux crises sociales, comme la pauvreté ou la santé mentale, sont souvent réactives plutôt que proactives. La France pourrait bénéficier d'une approche similaire, où les politiques seraient non seulement évaluées sur des critères économiques, mais également sur leur impact social à long terme. Une évaluation plus dynamique et adaptable des politiques pourrait permettre une réponse plus rapide aux problèmes émergents.
Pour appliquer cela en France, une nouvelle approche est nécessaire. Ce budget du bien-être devra être soigneusement structuré. Nous avons déjà connu des situations où des lois et des amendements, bien que positifs en apparence, ont eu des effets contraires en raison d’une mauvaise compréhension ou d’une pression budgétaire excessive sur certaines catégories de la population. Je pense, par exemple, à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Ces réformes devront être mieux expliquées, dans une démarche pédagogique, afin que les citoyens comprennent les changements et ce qu’ils impliquent pour leur bien-être. Prenons un exemple lié à la santé mentale : le Premier ministre Michel Barnier, en fonction du 5 septembre au 13 décembre 2024, a déclaré que la santé mentale serait la « priorité de son mandat ». Formidable ! Mais il est difficile de savoir comment cette priorité sera mise en œuvre, étant donné l’état des finances publiques et le budget global alloué à la santé. Un outil de mesure du bien-être social permettrait de créer des indicateurs solides et, ainsi, pour l’année suivante, d’intégrer ces critères dans le budget global du bien-être. Cela donne un cap, une vision, un travail en construction.
Vous pourriez me dire : devons-nous attendre un an ? N’avons-nous pas déjà assez d’éléments pour comprendre qu’il s’agit d’un problème urgent ? Ma réponse serait « oui » aux deux questions, avec toutefois quelques nuances. La liste des problèmes sociaux et économiques que notre pays doit affronter est immense, et c’est pourquoi il serait essentiel d’établir des priorités et de créer des groupes d’étude liés au budget sur ces sujets. Cela permettrait de réfléchir en parallèle à la manière d’intégrer ces enjeux dans le budget global de l’année suivante.
Dans le cas de la Nouvelle-Zélande, les thèmes retenus dans le cadre du budget du bien-être étaient les suivants : la transition vers une économie durable à faibles émissions, l’amélioration de la santé mentale, la réduction de la pauvreté infantile, la lutte contre les inégalités auxquelles sont confrontés les Maoris autochtones et les populations insulaires du Pacifique, ainsi que la prospérité à l’ère du numérique et la cybersécurité.
Ce qui est intéressant, c’est que ces sujets sont déjà des priorités dans les politiques nationales, gérées par les ministères de l’Intérieur, de la Santé ou encore de la Petite Enfance. Cependant, dans cette approche, au-delà des responsabilités de chaque ministre dans son domaine, ces enjeux sont également traités de manière stratégique par le ministère de l’Économie et des Finances, qui évalue comment les intégrer tout en mesurant leur impact sur le PIB de manière trimestrielle, et en les inscrivant dans une vision globale et nationale.
C’est un exemple classique de promotion de la prévention primaire, dont le mot d’ordre est d’anticiper la gestion des risques liés à ces enjeux. En y regardant de plus près, on constate que ces questions sont étroitement interconnectées. Si la transition écologique n’est pas menée correctement, avec une réduction significative des émissions de carbone, cela entraînera une hausse du taux de mortalité, une aggravation des inégalités sociales et un impact direct sur la santé mentale. Ce cercle vicieux accroîtrait la pauvreté et la dépendance à l’État, tout en renforçant les inégalités existantes, notamment parmi les communautés autochtones — un enjeu majeur en Nouvelle-Zélande, même si ce n’est pas le cas en France. Par ailleurs, dans un contexte géopolitique tendu, la cybersécurité est devenue un enjeu clé pour tous les États, y compris ceux en paix. C’est simple à comprendre.
Des premiers résultats encourageants
Parlons des résultats, en considérant que ce programme date de 2019. Malgré la crise sanitaire, ses conséquences et un programme d’action en place depuis moins de cinq ans, les résultats sont désormais estimables et chiffrés sur le terrain.
En matière de santé mentale, le Plan d’action pour la Santé Mentale annoncé en 2019 a bénéficié d’un investissement significatif de 1,9 milliard de dollars néo-zélandais sur quatre ans. Cet investissement a permis d’augmenter l’accès aux services de santé mentale, notamment grâce à la création de nouveaux postes de professionnels dans les établissements de soins, les écoles et les communautés. L’initiative "Mana Ake", lancée pour soutenir la santé mentale des enfants et des adolescents dans les écoles de la région de Canterbury, a proposé des conseils et un accompagnement aux jeunes, contribuant à une réduction de 16 % des problèmes de santé mentale signalés chez les élèves.
En ce qui concerne la réduction de la pauvreté infantile, le budget du bien-être a inclus des mesures pour augmenter les aides financières aux familles à faible revenu, notamment par le biais de l’augmentation du Family Tax Credit et du Best Start Payment. Ces mesures ont contribué à réduire le taux de pauvreté infantile, avec une baisse estimée de 4 à 5 % parmi les enfants en situation de vulnérabilité. Parallèlement, des programmes de soutien alimentaire ont été renforcés, permettant aux écoles de fournir des repas gratuits aux élèves issus de familles à faible revenu, améliorant ainsi leur nutrition et leur réussite scolaire. La qualité de vie s’est également améliorée. Selon le Wellbeing Budget, plusieurs indicateurs de bien-être ont montré des progrès, avec environ 85 % des Néo-Zélandais se déclarant satisfaits de leur qualité de vie. Des programmes spécifiques ont été lancés pour réduire les inégalités touchant particulièrement les Maoris et les populations insulaires du Pacifique, grâce à des initiatives axées sur la création d’emplois, l’accès à l’éducation et des soins de santé adaptés.
Le soutien à l’emploi et à l’éducation a été renforcé par des investissements dans des programmes éducatifs visant à améliorer l’accès pour les enfants issus de milieux défavorisés. Des initiatives comme le programme « 20 Hours ECE » (Early Childhood Education) ont rendu l’éducation préscolaire plus accessible et ont mieux préparé les enfants à l’école primaire. Le budget a également soutenu la création d’emplois dans des secteurs clés, contribuant à réduire le chômage et à améliorer le niveau de vie des familles. Le programme « Mana in Mahi », qui soutient l’emploi des jeunes, a permis de former et d’employer plus de 1 000 jeunes dans des projets communautaires.
La promotion d’une intervention précoce pour traiter ces enjeux futurs dans le cadre des politiques publiques n’est pas un coût, mais un véritable investissement. Ces initiatives sont encore récentes et font partie d’une innovation politique en marche, mais elles activent nos idées et montrent qu’il est possible d’agir efficacement. Si ces réformes apportent des résultats positifs sur le long terme, notamment pour les plus vulnérables, il est fort probable que d’autres pays suivront l’exemple de la Nouvelle-Zélande. Ce qui importe, c’est que cela fonctionne.
©Julia AGARD



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